Réflexions et pensées
le 3 juillet 2010
Comme vous le savez tous, le voyage récent au Ladakh a été
écourté en raison de ma santé. J’ai dû annuler le programme
à Nyoma à la dernière minute, mais mes amis et étudiants là-bas
étaient extrêmement compréhensifs et continuaient à m’encourager
à me reposer davantage et de revenir quand je me sentais mieux.
Parfois, quand j’observe cela objectivement, personne parmi
nous ne peut s’échapper au karma. Nous pouvons faire quelque
chose pour en réduire l’impact, mais l’éviter entièrement est
presque impossible. Il y a quelques mois, je vous ai raconté
l’histoire du Bouddha. Maintenant je vais vous raconter celle
de l’un de mes héros préférés, Nagarjuna, qui est connu en tant
que fondateur du bouddhisme Mahayana ainsi que de celui de la
Voie du milieu.
Comme je ne suis pas très fort en histoire et que je ne suis
pas érudit en ce sens, je ne peux vous raconter tous les détails
de sa vie. Mais ce que je voudrais vous décrire ici concerne
sa mort. Sa mort est en fait un grand enseignement sur le karma.
Bien sûr, tous les Bodhisattvas ont des naissances et des morts
étonnants et mènent des vies incroyables qui sont pleinement
bénéfiques à tous les êtres sensibles, même si certains ne montrent
pas de miracles ou ont des activités qui semblent inacceptables
d’après notre perception simple des choses.
Il a été dit que Nagarjuna avait obtenu l’énergie de l’éternité
et qu’il ne pouvait mourir même s’il le voulait. Après avoir
vécu 600 ans, il n’était toujours pas mort. Mais à la fin, il
fut décapité par un prince avec un brin d’herbe kusha. On pourrait
se demander comment ceci pourrait arriver et qu’un brin d’herbe
coupe une tête humaine, surtout celle d’un grand Bodhisattva.
Et bien, Nagarjuna dit au prince qui n’arrivait pas à le tuer
avec une épée et toutes sortes d’armes, qu’au cours d’une de
ces vies précédentes, il (Nagarjuna) avait tué un insecte en
coupant sa tête tandis qu’il coupait de l’herbe kusha. Alors
le prince pouvait facilement lui couper la tête avec un tel
brin d’herbe puisque c’était la rétribution karmique qu’il devait
payer. Il y a une autre version qui dit qu’au cours d’une de
ses vies précédentes, Nagarjuna avait coupé la tête d’un insecte
avec le brin d’herbe kusha et que l’insecte était retourné sous
la forme du prince. Dans les deux versions, il s’agit d’un enseignement
sur le karma. Même les grands Bodhisattvas comme Nagarjuna,
et même le Bouddha lui-même, devaient vivre le résultat de leur
karma. Qu’est-ce qui nous fait penser qu’on peut échapper à
notre propre karma ?
Cette fois-ci, j’ai eu une excellente opportunité de passer
du temps avec Kyabgön Drukpa Yongdzin et j’étais très content
qu’il avait reçu un accueil très chaleureux et spectaculaire
au Ladakh, notamment à Hémis. Nous devons être reconnaissant
que sa première incarnation avait envoyé l’un de nos plus grands
yogis, Taktsang Répa, au Ladakh afin d’apporter des bienfaits
aux nombreux êtres là-bas et dans les régions environnantes.
Comme vous le savez tous, dans sa vie précédente, il était l’un
de mes meilleurs amis. Je peux presque dire qu’il était comme
mon propre frère. Il était tellement intelligent. Il avait une
mémoire photographique et la force d’un être surhumain. Les
Drukpa Yongdzins sont connus comme les réincarnations directes
et authentiques de Jetsun Milarépa, et non seulement cela, mais
les manifestations de Manjushri aussi. J’étais toujours en train
de l’admirer. Tandis que je devais relire les textes de nombreuses
fois pour me les rappeler, il n’avait qu’à les marmonner à toute
vitesse et il se rappelait de tout. Mon gourou défunt, Thuksey
Rinpoché, et Khen Rinpoché (Khenpo Noryang) devaient trouver
des moyens très habiles pour le coincer afin qu’il abandonne
sa conduite de fripouille, sortant au cinéma à minuit et allant
traîner en ville. Alors ils lui avaient dit qu’il devait
réciter par cœur un texte sacré de quelques centaines de pages
devant des centaines de moines. Ils pensaient que cela l’obligerait
à rester sagement dans sa chambre. Je me souviens encore quand
il est venu dans ma chambre me demander à emprunter le livre.
J’étais très inquiet pour lui parce que je savais que s’il ne
réussissait pas à mémoriser le texte et à le réciter correctement
devant les moines, il aurait de très grands soucis. Mais dans
quelques jours seulement, il avait tout mémorisé et l’a récité
sans aucune faute dans le temple, et ne s’est pas privé de ses
sorties nocturnes habituelles. Je l’admirais vraiment beaucoup.
Cependant, il y avait une chose avec laquelle je n’étais pas
d’accord. Il adorait tuer des petits insectes. Il prenait les
pauvres bêtes et les casser en deux d’un coup sec. Bien sûr,
je ne devrais pas juger parce qu’il était un grand Bodhisattva
et peut-être il me montrait un grand enseignement du karma,
parce que je suis certain qu’il était un être éveillé. Comme
vous les savez tous, il est mort plus tard dans un accident
de voiture tragique : le volant lui avait coupé en deux,
et comme l’accident eut lieu au milieu de l’été, son corps se
décomposa rapidement et il fut mangé par de nombreux vers. J’ai
raconté cette histoire à son incarnation actuelle et lui ai
dit très clairement qu’en tant que maîtres spirituels, nous
devons montrer l’exemple, surtout en ces temps dégénérés. Même
si nous sommes des yogis, notre style de vie associé ne doit
pas induire les autres en erreur. C’est notre propre pratique.
Il est important que nous ne gâchions pas notre vie à donner
une impression incorrecte du sens de la spiritualité, ce qui
revient à tromper les êtres.
Nous devons contrôler notre esprit à tout moment. Nos esprits
sont toujours très malins. Nous avons sans cesse envie de faire
des choses illicites, de briser les préceptes et de dépasser
les limites. Nous nous en préoccupons bien plus tard quand les
signes de la rétribution sont sur le point de se manifester.
À quoi sert-il de se soucier des résultats après avoir tué quelqu’un
ou avoir nui à autrui ? En premier lieu, vous n’auriez
pas dû le faire ! Certains de mes amis et étudiants venaient
s’excuser à chaque fois que quelque chose ne marchait pas comme
il fallait ou quand ils avaient fait quelque chose de mal. Je
leur dis toujours, « Ne vous excusez pas. Contentez-vous d’arrêter
de le faire et corriger votre esprit et votre action immédiatement.
» À quoi bon devenir M. Pardon ou Mme Pardon –
et pourtant vous continuez à faire les mêmes erreurs et à faire
du mal aux autres. Je n’aime pas cette idée de se sentir coupable
ou d'avoir honte. Il est plus important que nous devenions tous
plus conscients des choses qui traversent ici et là notre esprit.
Si nous pouvons contrôler notre esprit, tout ira bien. Le problème
est que nous laissons toujours notre esprit céder à la paresse,
et nous nous trouvons toujours des excuses pour ne pas corriger
nos défauts, en disant des choses comme, « Je suis très occupé(e).
J’ai beaucoup de choses à faire... » ou « D’autres font la même
chose, alors c’est permis pour moi aussi. » C’est n’importe
quoi !
À vrai dire, il devient de plus en plus difficile d’être authentique
et honnête. Mais au moins vous devez être honnête avec vous-même.
Si nous regardons l’histoire sur les 5 000 dernières
années, voire sur 10 000 ans, nous nous rendrions compte
que rien n’a changé. Les êtres qui sont malheureusement incapables
de contrôler leur esprit sont constamment sous l’influence de
l’ego et des cinq émotions perturbatrices. L’avarice, l’ignorance,
la colère, la jalousie et la fierté les hantent sans cesse,
alors la vie entière est gâchée. Même s’ils ont rencontré l’être
le plus merveilleux ou le maître le plus éveillé, ou reçu les
conseils les plus bienveillants, tant qu’ils n’arrivent pas
à réduire l’influence des cinq poisons et qu’ils continuent
gaiement avec les cinq poisons en pensant qu’avec la bénédiction
x ou y, rien ne leur arrivera, un jour ils devront payer très
cher. Même si le Seigneur Bouddha vient, même si Avalokiteshvara
vient, rien ne pourra être fait. Nous sommes les patrons de
notre propre destin. Mon conseil à tout le monde est de, s’il
vous plaît, surveiller votre esprit et ne faites rien qui nuit
aux autres et à vous-même. Le karma est comme une ombre
qui vous suit partout.
Il y a déjà des photos sur Facebook que je peux très bien voir.
Merci à mon équipe d’amis et d'étudiants qui les offrent comme
un cadeau à nous tous.
Avant que je ne parte au Ladakh, plusieurs journalistes des
médias tibétains m’ont interviewé sur différents sujets. J’ai
profité de l’occasion pour déclarer que je ne suis pas d’accord
avec la décision prise lors d’une réunion récente sur une présidence
tournante parmi les chefs des différentes lignées Kagyu. Ceci
a été très clairement traduit en anglais par Lobsang Thargay,
mon assistant personnel, et pour ceux parmi vous qui comprennent
le tibétain, je pense qu’ils ont aussi mis en ligne l’enregistrement
de la version originale de l’interview.
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